vendredi 17 novembre 2017

Amis lecteurs, camarades… un « dernier » mot s’impose

 
Photo © D. Lang

Ce blog que vous aviez pris l’habitude de consulter, les mardis et vendredis, jours de son actualisation en particulier, va se faire silencieux après presque trois années de bons et loyaux services. Sa rédaction a fait ce choix unanimement considérant qu’il s’imposait à plus d’un titre. D’abord parce que nous n’avons pas les moyens de « faire mieux » avec les ressources dont nous disposons. Le renouvellement espéré n’a pas été au rendez-vous tandis que la fatigue, l’usure du temps et la maladie ont amoindri nos faibles forces, restées « debout » au travers des épreuves et face aux vents contraires. Chacun comprendra l’impératif de porter plus loin une ligne éditoriale qui a été validée sur bien des points depuis tout ce temps et bien avant en réalité. Mais il faudrait être en mesure pour se faire entendre, comprendre et susciter l’adhésion et l’engagement à nos côtés de démultiplier les prises de position et l’action pour le monde que nous voulons. Cela exigerait beaucoup plus de forces à tous les niveaux. Nous n’en disposons pas et du coup ce problème de ciseaux entre ce qui serait nécessaire et ce qui est possible devient difficile, impossible, à assumer.

Nous ne pensons pas avoir démérité en interrogeant, semaine après semaine, la vie, le combat politique sans allégeance d’aucune sorte, sans compromission, avec passion et en gardant toujours raison. Bien au contraire. Nous avons même le sentiment que les faits nous ont souvent donné raison, voire très souvent mais sans que cela ne se traduise par autre chose qu’un regain d’estime de nos lecteurs réguliers ou non, des autres courants d’une gauche malmenée par l’histoire en train de se faire sous ses yeux. La combinaison particulière qui fut notre marque de fabrique entre une orientation politique et une éthique de la responsabilité jamais prise à défaut nous a armés pour parler et pour agir, fut-ce de manière « minoritaire » et respectable. Le paradoxe veut que ce soit au moment où certains de nos innombrables combats semblent promis à aboutir au moins partiellement dans un avenir prévisible que nous soyons contraints de « tirer notre révérence ». C’est arrivé à d’autres avant nous. Au moment de mettre la clé sous la porte, tristesse, fierté et espoir se conjuguent pour cette ultime adresse.

La vie est belle. Elle ne demande qu’à être nettoyée de tout ce qui la pollue au nom de préjugés mus en discriminations et d’un système d’exploitation inique. Elle mérite que l’on se batte pour elle sans jamais renoncer par-delà les échecs nombreux et les succès plus rares au nom de la justice, de l’égalité et d’un socialisme qui ne les considérerait pas comme simple habillage de jeux politiciens. Soyons concrets, la « libération » de la parole des femmes contribue ainsi à l’actualisation d’un combat féministe d’aujourd’hui. Les gouvernants eux-mêmes en viennent ainsi à invoquer « une souveraineté européenne » comme l’ont récemment fait Macron et Merkel, y aurait-il une bonne distance entre la coupe et les lèvres. La polémique effrayante par ses dérapages – Charlie en guerre contre les Musulmans, Plenel antisémite – mais combien fondée sur le nécessaire combat laïque, émancipateur et internationaliste, entre dans une nouvelle phase. Ils furent les uns et les autres au nombre de ceux que nous avons enfourchés très tôt et sans jamais nous en départir. Alors, oui, cette voix qui s’éteint au moins provisoirement, cherchera à se faire entendre à nouveau sans doute portée par d’autres combattants, avec d’autres moyens. 

Nous vous devions la vérité au travers de cet au revoir. À bientôt peut-être, sans doute, tout simplement parce qu’il le faut.

La rédaction

mardi 14 novembre 2017

Parti pris du 14 novembre 2017

À Paris après les attentats du 13 novembre 2015 (photo © REUTERS), la responsabilité humaine dans le réchauffement climatique
(photo © AFP).

Deux ans après, les effets du drame de Paris. Ils furent humains d’abord, emportant sous le feu des balles et explosions 130 personnes dont une majorité de jeunes, causant des blessures à des centaines d’autres victimes directes des attentats de masse du 13 novembre 2015. Tout un pays et au-delà tout un continent, l’Europe, furent dans les premiers jours d’après sidérés devant la résurgence de la « bête immonde », la terreur au nom d’une idéologie islamiste, barbare et moyenâgeuse… au début du XXIe siècle. Même si la résilience sociale et la résistance civique ont permis de rester « debout », sans peur inutile et sans dérapages majeurs, même si l’État de droit n’a pas vacillé sous les coups, les conséquences multiples de ces crimes se font sentir durablement. Ils ont probablement retardé le retour à la croissance, quantifiable par exemple dans le secteur du tourisme mais pas seulement, entraînant un prolongement de la crise et de la misère sociale. Ils ont tout autant modifié les habitudes de vie, les comportements « naturels » dans les centres urbains en particulier. Ils ont changé la « manière de voir » contraignant dans une mesure appréciable à modifier les rapports entre les libertés et la sécurité. Le renseignement et donc la surveillance, par vidéo interposée, sont devenus l’alpha et l’oméga de la « tranquillité publique », serait-elle par ailleurs relative. Aller à un concert ou à une autre manifestation publique, passer faire ses courses sur un marché, conduire ses enfants à l’école ne se fait plus exactement de la même façon. Est-ce un progrès ? Assurément, non. Faut-il y voir une « victoire » a posteriori des Islamistes ? Pas davantage. Ils ont en effet perdu la partie sur le terrain des opérations en Irak, en Syrie et dans l’ensemble du Proche-Orient. Leur Califat s’est réduit à n’être plus qu’un mirage. Mais leur dangerosité demeure, les répliques du crime sont encore probables, seraient-elles de moindre intensité. La lutte doit continuer au-delà de sa dimension militaire pour extraire les racines du mal des « têtes ». Quelques milliers de « chiens de guerre », sans le moindre repentir, sont encore si ce n’est actifs, prêts dans certaines circonstances à le redevenir. Un procès exemplaire, allant au fond des choses devant une juridiction internationale dédiée, doit encore être organisé comme on le fit jadis à Nuremberg pour le nazisme. Il ne doit plus être « licite » de répandre le poison d’un islamisme de terreur dans les familles, dans les quartiers, dans les mosquées. C’est cette victoire finale sur le prêche immonde qui garantira, au moins pour un temps, que nous ne revivrons pas pareil drame. Cela passe par la loi bien sûr mais elle ne peut rien sans une mobilisation citoyenne de tous les instants sous le signe des solidarités collectives pour l’égalité de tous et toutes, sans distinction d’origine qui rendraient la vie et la conscience qu’en ont les hommes moins perméables aux croyances et superstitions qui ont tant meurtri l’humanité, hier et encore aujourd’hui. La ligne de partage passe désormais entre ceux qui ne transigent pas ou plus et ceux qui ayant pris les choses à l’envers sont incapables de se remettre en cause, de reconnaître leurs erreurs pour faire sincèrement machine arrière. Qu’Edgar Morin, par exemple, se défende aussi piteusement d’avoir prêté contre l’évidence une conception honorable des femmes à Tariq Ramadan en dit long sur l’étendue des dégâts et par voie de conséquence sur l’ampleur de la tâche.

Agir ici et maintenant pour la planète. Une « litanie » ! Rapports après rapports, les scientifiques alertent le monde sur l’état de la planète, sur les risques encourus par l’humanité et sur les délais extrêmement courts pendant lesquels il est encore possible d’agir pour conjurer la catastrophe climatique. Les émissions de gaz à effet de serre sont de nouveau en hausse en 2017 – 36,8 milliards de tonnes, record historique culminant avec les effets de la déforestation à 41 milliards – après trois années de stabilisation selon le douzième rapport annuel de Global Carbon Project. Dans ces conditions, l’objectif central, incontestable, de la COP 21 de limiter le réchauffement climatique à 2 degrés devient objectivement caduc. Le dernier rapport de l’Agence des Nations unies pour l’environnement estime que nous serons sur une trajectoire de réchauffement de plus de 3 degrés. Les raisons de cet état d’urgence climatique ne sont mystérieuses pour personne. On connaît très précisément les fauteurs de troubles. Au premier rang, figure la Chine de Xi Jinping, seconde puissance économique de la planète, responsable à elle seule de 30 % des émissions mondiales – 10,2 Gigatonnes de CO2 – devant les États-Unis – 5,3 GtCO2 –, l’Inde – 2,4 GtCO2 –, la Russie, le Japon… L’Ensemble européen s’il n’était pas éclaté en une trentaine d’émetteurs nationaux figurerait sur le podium à la troisième place avec une mention spéciale pour l’industrie de sa composante allemande. Ajoutons que l’on maîtrise pourtant une part au moins des solutions qui permettraient de limiter les dégâts. Les énergies renouvelables ont beau se développer sur un rythme « rapide » de l’ordre d’un peu moins de 15 % l’an sur les dernières années, elles ne parviennent pas à remplacer aussi vite qu’il serait nécessaire les énergies fossiles. Du coup, le débat sur la croissance est « pipé ». Plus de croissance et c’est indispensable n’est pas concevable sans une priorité assumée en faveur des énergies renouvelables. D’aucuns argueront que c’est un choix difficile à faire pour la Chine ou l’Inde. À voir, mais qu’en est-il pour les États-Unis ou l’UE ? Rien, absolument rien n’empêche cette réorientation massive. Pour ce qui concerne les 28, cela suppose non l’addition de simples programmes nationaux mais un plan fédéral assumant en interne les transferts de valeur nécessaires des mieux lotis à ceux qui le sont moins. Si cela ne se fait pas ou pas encore, c’est parce que l’opinion et les instances qui la représentent jouent de manière « suicidaire » la carte nationale. Elle est pourtant « dépassée » depuis longtemps, « nocive » sur ce terrain comme sur quelques autres. Elle est « dangereuse » sur le long terme et constitue un frein à la croissance bien évidemment. Tant que l’on n’en sera pas totalement revenu à Berlin, à Paris et dans les autres capitales de l’Union, il est à craindre que l’on retarde encore la mise en œuvre de la solution la plus directement accessible dans les possibles pour agir efficacement contre le réchauffement climatique incontrôlé. On pourrait faire aisément la même démonstration en ce qui concerne le transport de marchandises par la route… Mais en admettant que cela se fasse, au-delà des effets d’annonces, il resterait un grand chantier celui de la fixation du prix d’une taxe carbone enfin opérante et sa généralisation dans les échanges. Le multilatéralisme en la matière est bien sûr souhaitable mais faute de résultats tangibles à ce jour, rien n’interdit à ceux qui le voudraient d’agir en avant-garde éclairée dans ce domaine. Ils ont tout à y gagner, tant l’exemplarité et la prise de conscience qu’elle suscite sont des facteurs décisifs pour changer le monde. Ces questions sont « objectivement » à l’ordre du jour pour l’Europe. De sa réponse positive, évasive, voire dilatoire dépend pour une part l’avenir de l’humanité dans un monde vivable. 

vendredi 10 novembre 2017

Octobre 17…

"La Salve de l'Aurora" (sur le palais d'Hiver à Saint-Pétersbourg), gravure sur bois de Vitali Lentchine, 1917.

Cent ans plus tard, l’évènement fait encore parler de lui. Non dans une logique de commémoration tant l’héritage d’Octobre est sujet à caution, ployant sous le flot des calomnies et amalgames en tout genre. Non pas dans une logique de « fils et filles de » tirant « les leçons d’Octobre » pour aujourd’hui non plus. Le monde a beaucoup changé en un siècle et ce qui était hier n’est pas forcément ce qui est aujourd’hui et à plus forte raison ce qui sera demain. Il n’en demeure pas moins vrai qu’Octobre 17 fut l’un des évènements marquants qui devaient influencer la planète longtemps après s’être produits. Tout simplement parce que l’Octobre rouge, celui qui « ébranla le monde » d’alors, portait en lui les espoirs de la majorité de l’humanité. C’est la raison pour laquelle il connut un tel retentissement au moins européen et un peu plus largement dans le monde de l’époque en un temps record et en l’absence des chaînes d’information en continu. Une mobilisation lumineuse, à ciel ouvert, qui dessinait une alternative pratique, contre les famines pour le pain, contre la guerre pour la paix, contre les dictatures pour la liberté. Octobre inaugura une « montée révolutionnaire impétueuse » comme le monde n’en avait encore jamais connue de semblable, poussant ses effets différés dans toute une série de territoires.

Octobre ne fut pas un coup d’éclat conjoncturel, une passe – bonne ou mauvaise selon où l’on se situait –, un accident de l’histoire. Il fut la seconde expérience après celle de la Commune de Paris – « premier État ouvrier de l’histoire humaine », disait Lénine – par laquelle les hommes prenaient enfin leur sort en main. L’insurrection du 7 novembre, la prise du Palais d’hiver des Tsars et la destitution sans combat de Kerenski n’en furent que le couronnement provisoire. Un fait « militaire » souvent fantasmé pour les besoins de « l’agit-prop » mais qui ne coûta que six vies humaines et moins de cinquante blessés. Les soldats des deux bataillons, celui des cadets et celui de femmes, qui devaient défendre le pouvoir, s’égayèrent très rapidement dans la nature ou se rallièrent travaillés au corps depuis plusieurs jours par les militantes de la gauche en particulier. L’insurrection elle-même était à l’ordre du jour des discussions de tous et de chacun depuis juillet après que Lénine et Trotsky l’ont proposé publiquement contre les hésitations de la direction du Parti bolchevik qui était passé à côté de 1905. L’on discutait bien sûr « tactique » comme toujours chez les militants en sachant bien au fond que le mouvement réel, celui des masses, celui de la rue et des casernes, se chargerait de bousculer les plans les mieux établis.

Comment en était-on arrivé à cette évidence par-delà le vote de la commission militaire des soviets ? Par la perte de crédibilité du pouvoir de l’ancien régime et l’affirmation contradictoire de celui qui était en gestation. Une situation de « dualité de pouvoir » qui durait depuis février au moins et où ceux d’en haut ne pouvaient plus parce que ceux d’en bas ne l’acceptaient plus. Une « crise révolutionnaire » ouverte, rendue possible par une longue bataille politique, « une préparation d’artillerie idéologique » comme la qualifiait Lénine, « une lutte de tous les instants pour l’hégémonie » comme l’écrira Gramsci. Mais encore fallait-il qu’une perspective de transformation sociale radicale, une promesse d’une autre vie pour tous soit au rendez-vous parmi les masses et en particulier parmi la jeunesse. Elle existait parce que la gauche révolutionnaire internationaliste, instruite par les expériences antérieures, avait su lui donner corps à Zimmerwald (septembre 1915) puis à Kiental (avril 1916), jusque-là où le système était le plus affaibli, dans ce « maillon faible » qui ne demandait qu’à rompre sous la poussée. Ce rapport singulier au programme, devenu l’outil sans lequel rien n’aurait été possible, était cette fois au rendez-vous. Une combinaison complexe que l’on nomma le « modèle d’Octobre ».

Si bien que l’insurrection plébiscitée par tous, par-delà les hésitations de quelques hommes d’appareil devenus inaudibles et comprenant difficilement ce qui se jouait, devint le but de toute une jeunesse, dans la capitale d’abord et partout dans le pays ensuite. La plupart des jeunes hommes qui prirent le Palais n’avaient que 12 ou 13 ans. Ceux qui constituaient les rangs du Parti bolchevik n’avaient que dix-sept ans de moyenne d’âge. Les militantes enrôlées volontaires dans le bataillon de femmes du régime étaient tout aussi jeunes même si quelques cadres aguerris avaient prêté main-forte aux unes et aux autres. Une des immenses forces d’Octobre sans aucun doute… mais aussi une faiblesse pour la suite quand après la libération, il faudra assumer la reconstruction, l’approvisionnement, la remise au travail etc.. sans trop d’idées sur le comment s’y prendre, sans expérience et pour cause de la chose, avec les troupes blanches et celles de la grande coalition des États réactionnaires aux trousses, aux frontières. Faiblesse qui jouera aussi un rôle non négligeable dans la formation plus tard de « tchékistes »  implacables au service d’une bureaucratie montante désireuse de reprendre la situation en main. Et ce très tôt, au moins à partir de l’été 1919 – fusion des camps de prisonniers de la guerre civile avec ceux des autres catégories de détenus – après que le tournant de Kazan à l’été 1918, dans une situation pourtant désespérée, a assuré la victoire finale de la résistance à « l’agression des Blancs et de la coalition impérialiste ».

La démocratie enfin et peut-être surtout. Non pas celle de l’instant, non pas celle qui précéda le dénouement et les premiers jours d’après mais celle de plus long terme qui aurait dû servir de bases inébranlables justement au nouvel État. La Commune de Paris l’avait fait vivre de manière assez exemplaire à son échelle l’espace d’un printemps avant d’être noyée dans le sang par les Versaillais de Thiers. Octobre était démuni parce que tout manquait, qu’il fallait parer au plus pressé et que les lendemains qui chantent devaient attendre. L’on commença donc par interdire de fait les partis accusés de ne pas être dans la ligne. Quand bien même, à quoi cela a-t-il servi si ce n’est à liquider le multipartisme indispensable à toute société de progrès. On finit par considérer que la Constituante avait fait son temps et qu’il fallait donc la dissoudre… sans la remplacer en dépit des fermes mises en garde de loin de Rosa Luxembourg, porte-parole d’un mouvement ouvrier du « centre », plus éduqué, plus respectueux des normes d’un « État de droit » aussi nécessaires à la nouvelle administration que l’air à la vie humaine. Et puis, la guerre harassante, mutilante, propice aux bavures, dans un pays exsangue. Ceux d’en face étaient particulièrement sanguinaires, leurs camps de concentration préfiguraient déjà ceux des nazis et le rapport de force avait basculé à l’été 1918 d’un cheveu, dans une improvisation « improbable » de Léon Trotsky et Larissa Reissner à Sviajsk et Kazan.

La répression enfin « parce que l’on ne pouvait pas faire autrement », dira-t-on, des oppositions, de toutes les oppositions, celle des anarchistes ici, celle de « l’opposition ouvrière » là, oppositions souvent « gauchistes » sans que cela puisse constituer une « excuse ». Dans un « vaste bordel » où l’initiative individuelle prenait parfois le pas sur la réflexion collective. Et comble du drame, ceux qui étaient les mieux armés pour s’y opposer sombraient dans une forme d’aveuglement. Aucun « penseur » socialiste n’avait été aussi loin en théorie que Lénine sur le dépérissement de l’État et la création des conditions d’une auto-administration dans une « Fédération mondiale de producteurs librement associés », selon la formule d’Ernest Mandel mais, malade, il assista sans broncher à l’ouverture des premiers camps. Même chose pour Trotsky qui mit du temps à comprendre le lien entre cet état social et la victoire promise à la bureaucratie au sein du parti qui avait été le fer de lance d’Octobre et en deviendra le fossoyeur sous Staline. Les autres dirigeants de l’Octobre rouge ne se démarqueront pas davantage en tout cas au départ et dans l’urgence. Sans doute parce que le maillon faible de la périphérie n’était pas le centre, celui du « prolétariat allemand » – encore que ce dernier tombera face à Hitler sans se distinguer – et que les plus lucides ne tablaient que sur la prise de relais pour sauver Octobre d’une mort annoncée. Faute de quoi, défigurée et trahie, la Révolution d’Octobre n’aura vécu que très peu d’années glorieuses, moins qu’un plan quinquennal, avant de dépérir pour le pire, plombant à son corps défendant les combats émancipateurs futurs. La fidélité à la tradition d’Octobre exige la vérité, qui seule est révolutionnaire.

 

mardi 7 novembre 2017

#1FEMMESUR2


À l’initiative de Caroline De Haas, cette lettre demandant un plan d’urgence contre les violences sexuelles a été publiée dimanche 5 novembre dans le Journal du Dimanche. Vous pouvez signer la pétition sur Change et vous informer davantage sur le site dédié #1FEMMESUR2



Monsieur le Président,

Nous savons votre agenda chargé. Vous n’avez pourtant pas pu passer à côté. Depuis des jours, plusieurs centaines de milliers de messages sont apparus sur les réseaux sociaux pour témoigner de l’ampleur des violences sexuelles que subissent les femmes en France.

Une femme sur deux a déjà été victime de violence sexuelle. Certaines ne sont plus là pour signer cette tribune, mortes sous les coups. Certaines sont plus particulièrement concernées parce qu’elles sont en situation de handicap, lesbiennes ou subissent le racisme.

L’avez-vous en tête lorsque vous vous déplacez, rencontrez des citoyennes et citoyens, présidez une réunion ou un dîner officiel ? Nous sommes une sur deux.

Monsieur le Président, signataires de cette lettre, nous avons été, comme tant d’autres, harcelées, agressées ou violées. Comme tant d’autres, nous avons souvent dû faire face au déni de nos entourages, à l’absence de prise au sérieux par les services de l’État, à la tentative de notre société de nous faire croire que ce n’était pas si grave ou qu’on avait bien dû faire quelque chose pour en arriver là. Toutes, nous sommes témoins du silence vertigineux de notre société. Un insupportable déni collectif. Au fond, notre société maltraite les femmes.

Monsieur le Président, tout cela, vous le savez. Alors, pourquoi cette lettre ? Parce que vous avez le pouvoir de faire en sorte que ces violences sexuelles cessent.

La puissance publique a déjà réussi par le passé à changer des mentalités et des comportements qui nous semblaient inamovibles tellement ils étaient ancrés dans nos habitudes. Qui aurait dit il y a trente ans que nous réussirions à diviser par 4 le nombre de morts sur les routes ? Qui aurait dit il y a vingt ans que le tri du papier semblerait aujourd’hui presque une évidence ?

Monsieur le Président, dans la rue, au travail comme à la maison, l’intolérance aux violences doit devenir la norme.

Décrétez un plan d’urgence. Maintenant.

  1. Doublez immédiatement les subventions des associations qui accueillent les femmes au téléphone ou physiquement et doublez le nombre de places d’accueil pour les femmes victimes.
  2. Organisez dès 2018, de manière systématique et obligatoire, une formation de tous les professionnel.le.s en contact avec des femmes victimes : enseignant.e.s, magistrat.e.s, policier.e.s, gendarmes, professionnel.le.s de santé, notamment de la santé au travail.
  3. Créez au collège un brevet de la non-violence sur le modèle du brevet de la sécurité routière, obligatoire dès la rentrée prochaine.
  4. Rendez obligatoire la formation des salarié.e.s et managers à la prévention du harcèlement sexuel au travail, instaurez une négociation obligatoire en entreprise sur ce sujet et protégez l’emploi des femmes victimes.
  5. Lancez une campagne nationale de prévention aussi importante que celles sur la sécurité routière, campagne que vous pourriez venir présenter au JT d’une grande chaîne pour affirmer, en tant que chef de l’État, que les violences n’ont plus leur place dans notre pays.

Cela ressemble à un plan d’attaque ? C’en est un.

Monsieur le Président, nous sommes face à une crise grave.  
Êtes-vous de notre côté ?


 
PARMI LES PREMIÈRES SIGNATAIRES
Laure Adler (journaliste), Marie Allibert (Osez le féminisme !), Anne Alvaro (comédienne), Lisa Azuelos (réalisatrice), Angeline Barth (CGT spectacle), Lauren Bastide (journaliste), Alexandra Baudelot (curatrice - critique d’art), Yamina Benguigui (réalisatrice présidente de l’Institut Robert Schumann), Fatima Benomar (co-porte-parole des effronté-e-s), Julie Bertuccelli (réalisatrice), Agnès Bihl (chanteuse), Sophie Binet (syndicaliste CGT), Dominique Blanc (comédienne), Eloïse Bouton (journaliste et militante féministe), Lénaïg Bredoux (journaliste), Zabou Breitman (comédienne), Jackie Buet (fondatrice et directrice du Festival International de Films de Femmes de Créteil), Marie Cervetti (militante féministe), Pauline Chabbert (féministe), Anne-Marie Charvet (préfète honoraire), Christine Citti (comédienne), Alice Coffin (journaliste et militante lesbienne féministe), Anaïs Condomines (journaliste), Fanny Cottençon (comédienne), Nadia Daam (journaliste), Audrey Dana (actrice, réalisatrice), Florence Darel (comédienne), Eva Darlan (comédienne), Marie Darrieussecq (écrivaine), Laurence De Cock (historienne), Caroline De Haas (militante féministe), Maria de Medeiros, (comédienne, réalisatrice), Tatiana de Rosnay (écrivaine), Julie Delarme (comédienne), Christine Delphy (féministe), Emilie Dequenne (comédienne), Rokhaya Diallo (journaliste), Valérie Donzelli (actrice, réalisatrice), Héloïse Duché (militante féministe), Nassira El Moaddem (journaliste), Fatima El Ouasdi (Présidente-fondatrice de Politiqu’elles), Louane Emera (chanteuse, actrice), Emma (blogueuse féministe), Andréa Ferréol (comédienne), Giulia Foïs (journaliste), Elodie Font (journaliste, auteure), Florence Foresti (comédienne, marraine de Women Safe Institut), Carol Galand (journaliste), Anne F. Garreta (écrivaine et universitaire), Geneviève Garrigos (militante féministe), Marion George (Osez le féminisme !), Leila Gandhi (journaliste, réalisatrice), Valentine Goby (écrivaine), Clara Gonzales (féministe), Sophie Gourion (militante féministe) Anouk Grinberg (comédienne), Lucie Groussin (militante féministe), Véronique Haché (directrice générale Autolib Vélib métropole), Imany (chanteuse), Catherine Jacob (actrice, auteur), Agnès Jaoui (auteure, metteur en scène Théâtre & Cinéma, comédienne), Kee-Yoon Kim (comédienne, auteure), Lola Lafon (écrivaine), Anne Lafont (historienne de l’art), Alexandra Lamy (comédienne), Mathilde Larrere (historienne), Sandra Laugier (philosophe), Valérie Laurent (médecin), Aude Lorriaux (journaliste), Lilâ Le Bas (présidente de l’UNEF), Véronique Le Bris (journaliste) Michèle Le Doeuff (philosophe, féministe), Lidia LeBer Terki (réalisatrice), Titiou Lecoq (auteure), Séverine Lemière (enseignante-chercheuse), Alice Loffredo (féministe), Louison (dessinatrice), Johanna Luyssen (journaliste), Anne-Cécile Mailfert (militante féministe), Michela Marzano (philosophe), Mathilde (Auteure-compositrice), Caroline Mecary (avocate), Anna Mélin (féministe), Mélusine (activiste féministe et antiraciste), Françoise Milewski (économiste), Anna Mouglalis (comédienne), Tania Mouraud (artiste plasticienne), Selma Muzet Herrström (militante féministe), Diariata N'Diaye (présidente de Resonantes), Helena Noguerra (chanteuse, comédienne), Valentine Oberti (journaliste) , Océane Rose Marie (Comédienne, auteure), ORLAN (artiste plasticienne), Adrienne Pauly (auteur-interprète), Emmanuelle Piet (médecin), Céline Piques (Osez le féminisme !), Raphaëlle Rémy-Leleu (porte-parole d'Osez le féminisme !), Sophie Riche (youtubeuse), Brigitte Roüan (actrice, réalisatrice), Sandrine Rousseau (économiste), Nadia Roz (comédienne), Laure Salmona (artiste plasticienne et militante féministe), Muriel Salmona (psychiatre, présidente de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie), Céline Sciamma (scénariste, réalisatrice), Maren Sell (éditrice et écrivaine), Coline Serreau (cinéaste), Charlotte Silvera (cinéaste), Rachel Silvera (économiste), Claire Simon (cinéaste), Charlotte Soulary (militante féministe), Béatrice Thiriet, (compositrice), Corinne Touzet (comédienne), Céline Verzeletti (syndicaliste CGT), Hélène Vincent (comédienne), Virginie Wagon (auteur-réalisatrice), Soledad Zignago (économiste)…





vendredi 3 novembre 2017

Parti pris du 3 novembre 2017

Dupont-Moretti et les avocats de Mehra (photo © AFP), la maire de Barcelone Ada Coalau (photo © R. Patino), manifestation à Paris en 2011 pour l'égalité salariale entre hommes et femmes (photo © AFP).

Un procès qui ne clôt pas une page d’histoire. La condamnation d’Abdelkader Mehra à vingt ans de prison assortie d’une peine incompressible des deux tiers ne satisfait pas les familles des victimes du frère instructeur du tueur. On ne peut que les comprendre et manifester à leur égard une grande compassion cinq ans après ces journées terribles. Leurs avocats s’en satisfont parce qu’une défense de rupture, celle de l’accusé et de ses conseils, n’a pas abouti – et c’est heureux – à une « catastrophe ». Le droit n’est jamais pure abstraction manipulable à l’envi car il est connecté au réel, au contexte, tous le savent. Mehra est condamné, la justice est donc passée à leurs yeux. Pas comme elle aurait pu le faire sans doute. À ce titre, l’appel du Parquet général est logique et conforme aux réquisitions de l’avocate générale. Mais l’enjeu dépasse de loin les acteurs de ce procès. Il n’est pas le « Nuremberg » qui devrait aux yeux de l’humanité clore la page de ces drames à répétition qui ont ensanglanté et traumatisé tant de pays à l’initiative des Islamistes. Un tel moment de consensus et de réconciliation des hommes entre eux doit voir le jour avec un certain nombre des chefs présumés de l’EI dans le box, un jury international et un retentissement sans précédent. C’est de lui dont dépend la victoire finale sur l’idéologie assassine, l’interdit de fait partagé de se revendiquer d’une manière ou d’une autre de celle-ci. Et cela implique une forme d’épuration à l’échelle diplomatique rendant ceux qui ont financé les monstres, les ont aidés, indignes de siéger dans quelque instance que ce soit ni dans leur pays ni à plus forte raison à l’échelle internationale. Nous n’en sommes pas encore à ce juste retour sur plusieurs décennies de crimes, parfois de masse, commis au nom de la religion, en l’occurrence une vision rigoriste et conquérante du Djihad islamique. La bataille idéologique fondée sur la défense et l’extension des acquis de l’humanité en termes de libertés publiques et de laïcité est plus que jamais d’actualité.

« Une erreur gravissime qui nous éloigne de la solution. » C’est en ces termes forts que la Maire de Barcelone, Ada Colau, a condamné les agissements du gouvernement Rajoy et de la justice espagnole précisant que cela ne pouvait s’expliquer que « par l’esprit de vengeance et la volonté d’humilier ». Jeter en prison les membres de l’exécutif catalan déchu par un simple trait de plume, lancer un mandat international contre le Président de celui-ci, menacer d’en faire de même avec les Parlementaires est absolument « scandaleux » et sans précédent comparable. Rajoy est un extrémiste dangereux pour toute l’Europe. Il le fut dans ses fonctions de père l’austérité plus brutal encore que ne le souhaitait Schäuble. Il le fut comme corrompu en chef du parti populaire. Il l’est comme Premier ministre de la répression contre l’indépendantisme catalan. Ce dernier s’est embourbé dans une logique aventureuse et a été battu par la rue. Il n’était aucunement souhaitable d’ajouter du ressentiment au ressentiment face à l’humiliation subie. La remise en liberté immédiate des emprisonnés de Madrid est indispensable si l’on ne veut pas que les élections du 21 décembre soient « délégitimées » par les coups répressifs portés à la mouvance indépendantiste et jusqu’alors pacifique. Le retrait de ce mandat d’arrêt inopportun qui tend à exporter la crise aux autres États européens s’impose tout autant. De quoi souligner l’imprudence aveugle de Bruxelles et des principales capitales européennes, dont Paris et Berlin, qui se révèle désormais au grand jour. Tous connaissaient Rajoy, tous savaient quelle mécanique infernale ils acceptaient de cautionner. Le réveil n’en sera que plus brutal et la nécessité d’intervenir rapidement au nom des droits démocratiques plus évidente.

L’inégalité entre hommes et femmes plombe aussi l’économie.
62 milliards sont perdus chaque année en France en raison des inégalités salariales entre hommes et femmes, chiffre la Fondation Concorde. France stratégie, organisme dépendant de Matignon, estimait l’an passé que les discriminations à l’emploi dans leur ensemble – genre et origine – coûtaient entre 3 et 14 points de Pib. Au-delà des chiffres et en période de croissance solide, ce manque à gagner est « pur gâchis » et appelle une vigoureuse action publique dans la logique du « name and shame » en assortissant la publicité négative de sanctions efficaces comme le non-accès aux marchés publics. Le salaire moyen des femmes ne représente encore que 81 % du salaire moyen des hommes. La dimension « sociale » est tout aussi parlante. L’égalité ne générerait pas moins de 28 milliards au profit des ménages et 34 milliards de recettes supplémentaires pour les caisses de l’État. Oui, mais… argue-t-on du côté du Medef et de la CGPME avec un coût cumulé de quelque 58 milliards pour les entreprises compensés en partie par une baisse de l’imposition au titre de l’impôt sur les sociétés. Cherchez les raisons du blocage. Il est donc possible, nécessaire et urgent d’agir tant au plan social que sociétal en France comme dans toute l’Europe, serait-elle mieux classée que les autres régions du monde par les études sur le sujet qui soulignent un recul global – le premier depuis 2006. Les Européens se situant de manière inégale mais avec quelques réussites notables – Islande (1re), Norvège (2e), Finlande (3e), Suède (5e)… France (11e), Allemagne (12e), Royaume-Uni (13e) notamment. Parmi les plus mal classés et sans surprise le Koweit (129e), le Qatar (130e), le Liban (137e), et le Yemen (144e et dernier). Israël arrive en 44e position devant les États-Unis (49e) et plusieurs États d’Europe du sud – Grèce (78e), Italie (82e), Chypre (92e), Malte (93e). Il reste du chemin à faire mais celui-ci est désormais « balisé » par le retour partout à la croissance.



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mardi 31 octobre 2017

Debout ! C’est l’heure…

The Sleeping Beauty (La Belle au bois dormant) par le peintre britannique John Collier (1921).

Depuis plusieurs mois, la situation générale s’améliore « objectivement ». Les chiffres du retour à la croissance, son accélération, ne sont pas contestables. Ni au plan mondial, ni à celui de l’Europe, ni même en France. Ce retour à la situation d’avant la crise qui n’a pas encore comblé tous les retards ni réparé tous les dégâts s’effectue dans un contexte social et politique compliqué porteur de confusion et de désorientation. Le chômage de masse, spécialement au sud de l’Europe, perdure quand bien même le ressort principal en serait modifié, absence de travail disponible hier, inadéquation entre le marché et la formation nous dit-on aujourd’hui. Les chiffres parlent et ce n’est pas en faveur des politiques mises en œuvre sous le précédent quinquennat et depuis que le gouvernement Philippe a pris les commandes. Le CICE d’un montant de quelque 40 milliards a probablement eu un effet « significatif » sur l’emploi entre 2015 et 2016 mais qu’il est bien difficile de quantifier. L’OFCE et la plupart des instituts évoquent une fourchette… de 10 000 à 200 000 emplois créés. Un rapport coût produit qui accable ses promoteurs d’autant que ce « coup de pouce » éventuel, tous en sont d’accord, appartient au passé, étant en quelque sorte rentré dans les mœurs. L’actuelle équipe dirigeante le pérennise pourtant en le transformant en allégement permanent des cotisations sociales de l’entreprise. De quoi renforcer un « usage » du travail qui en le fragilisant le dévalorise socialement. L’intérim explose d’ailleurs dans tous les secteurs y compris parmi les cadres. La « nouvelle société » des Marcheurs « flexibilise » beaucoup et ne « sécurise » guère.

Il n’en va pas différemment de la formation et de la jeunesse. Si la couverture santé des étudiants par le régime général dès l’an prochain va dans le bon sens, les réformes de la formation, encore floues, sont beaucoup plus discutables. En leur principe d’abord, adapter la formation aux critères du marché c’est bien souvent faire fi des besoins de la société moins immédiats mais plus fondamentaux. La suppression du tirage au sort honni est certes nécessaire mais l’orientation précoce, dès le secondaire, pour éviter la saturation du système n’est qu’un pis-aller. Mieux vaudrait garantir le libre choix pour chacun en y mettant les moyens, en multipliant les passerelles et en ayant une vision sociale moins utilitaire de la formation initiale. Quant aux moyens, ceux de l’enseignement supérieur notamment, ils ne sont pas à la hauteur si on les compare en particulier aux coûts pour la société du soutien aux entreprises. Thomas Piketty les estime en contraction de l’ordre de 10 % en euros constants. Là encore, dans la continuité du quinquennat de Hollande.  Sans compter que le choix d’aborder la formation initiale et permanente en deux temps laisse présager la perpétuation d’une coupure dont on sait qu’elle est préjudiciable. Les Marcheurs et leur mentor sont davantage dans la continuité que dans l’innovation. Reste la « sélection » sociale – en marge de l’Université, classes préparatoires et grandes écoles – qui se trouve renforcée sans qu’elle soit justifiée du point de vue de la société dans son ensemble. La société des Marcheurs est bien celle des « héritiers ».  

Dans ce contexte, c’est se payer de mots que considérer, comme Mélenchon, que « Macron marque le point » à propos du travail, comme si ce n’était que cela,  les « points » d’une partie politicienne à rejouer. La prise de conscience du « Caudillo » de la France insoumise, est un peu courte. Il ne fallait pas rejouer le match ou alors tout autrement en sachant que l’essentiel avait été perdu dans la phase de lutte contre la loi El Khomri. Il ne fallait pas se départir non plus d’un jugement équilibré capable de distinguer sur chaque sujet ce qui était « objectivement » inévitable et même parfois souhaitable et ce qui devait être fermement combattu. L’opposition aussi fourre-tout qu’inconséquente, déclinée en journées d’action incantatoires masquant mal les divisions et les confusions a déjà coûté cher aux salariés et à la gauche. La journée du 16 novembre risque de le confirmer dans un jeu de faux-semblants qui laisse un goût amer après coup. Il y a mieux à faire en portant une opposition de gauche, résolue et sur le fond, à l’idéologie et aux politiques des Marcheurs au nom des transformations de la société que nous voulons. La seule défense des acquis n’y suffit pas – cela a toujours été le cas. Le débat budgétaire en a donné la mesure avec une incapacité à faire vivre à gauche une politique alternative globale et unitaire – c’est la condition de sa crédibilité serait-elle minoritaire. D’autant que la société ne reste pas « inerte » attendant le prochain jeu. Elle bouge, façonnant l’opinion à l’idée que la gauche joue bien mal les « utilités ». C’est bien cela qu’il faut changer rapidement si nous voulons être demain en situation de disputer des parties plus décisives.

Une « obligation » politique et morale qui doit s’imposer à toutes les sensibilités d’une gauche qui sans cela risquerait de « se perdre », courants et fonds. Au moment où l’Onu confirme l’enjeu écologique comme contrainte majeure – il n’ y a jamais eu autant de pollution sur la planète. Au moment où l’instabilité américaine franchit un point haut avec l’inculpation de proches de Trump dont Paul Manafort son ancien directeur de campagne pour « complot ». Ce n’est pas encore la voie ouverte à la destitution mais l’on s’en approche. Au moment où la Catalogne et l’Espagne s’enfoncent dans une crise majeure qui, quels que soit les résultats des élections du 21 décembre, laissera une fracture ouverte à mettre au débit de «l’indépendantisme » irresponsable des uns et d’un « centralisme » autoritaire et figé des autres. Au moment où la direction de la gendarmerie alerte le Parlement sur la poudrière sécuritaire, sociale, identitaire que constituent les outre-mers, spécialement Mayotte et la Guyane. Au moment où l’effet boule de neige salutaire des prises de parole de femmes de toute condition sur le harcèlement appelle partout une avancée de la société et de la loi sous les couleurs du respect et de l’égalité… La gauche ne peut pas, ne doit plus rester en marge sans voix, sans prise sur le présent, sans ambition d’avenir, sans projet de transformation sociale multiforme et d’envergure. Si elle respire encore et nous n’en doutons pas, qu’elle le prouve, vite.      



 

vendredi 27 octobre 2017

Parti pris du 27 octobre 2017

Mario Draghi (photo © Getty Images), Carles Puigdemont (photo © AP), Christophe Castaner (photo © WITT/SIPA).

Avec le renfort de la BCE, l’UE doit agir, vite et fort. En optant pour la poursuite d’une politique « accommodante » au moins jusqu’en septembre 2018, la BCE et Draghi donnent un sérieux coup de main à Bruxelles et aux gouvernements nationaux en matière d’entretien de la croissance. Les indicateurs sont bien orientés dans la plupart des régions européennes. Seul souci de taille, l’absence toujours criante de grands projets capables de transformer le retour à la « normale » en allure de croisière durable sur une période longue. Et là, tous n’ont pas des responsabilités égales. Celles de Berlin sont plus lourdes parce que l’Allemagne dégage de larges excédents dont la résorption ne peut être que facteur d’équilibre des échanges et puissant levier pour faire mieux partout. La coalition en voie de constitution autour de Merkel n’a encore rien indiqué à ce sujet si ce n’est qu’elle appliquera la règle du cru « zéro déficit » comme si Schaüble, parti présider le Bundestag, gardait la haute main sur les finances fédérales. Guère encourageant. Tous les autres ont a minima les moyens de remettre leur économie à flot et en ordre de bonne marche budgétaire. C’est selon les critères de la Commission ce que fait Paris. Mais là ou le bât blesse c’est qu’il ne s’agit au mieux que d’une « consolidation » pas d’une ouverture sur le futur, d’un plan d’investissement massif et commun, public-privé, pour changer la donne, généraliser les innovations, booster la recherche et le développement, assurer la réduction des inégalités sociales. Tout y invite et ils ne le font pas… pour l’instant du moins et au niveau le plus central. Ni en matière d’infrastructures, ni en matière de logements, ni en matière de transformation du travail et de la protection sociale en y introduisant davantage d’égalité, ni même en faveur de l’urgente transition énergétique. Problème pendant, la question de la dette qui doit être réglée au-delà de la mesure de réduction en faveur d’Athènes qui se fait toujours attendre. La mutualisation au moins partielle – au-delà du ratio de 60 % d’endettement par rapport au Pib – libérerait l’horizon pour de nouveaux investissements. Là encore l’affaire se joue en partie sur les bords de la Spree. Ce serait en outre assez exemplaire au plan planétaire où l’on s’inquiète de la croissance non-maîtrisée des dettes – notamment chinoises –, souveraines et privées, globalement « évaluées » à 192 mille milliards d’euros – plus de 300 % du Pib mondial. Affaire de volonté politique d’abord où les Européens ne peuvent pas faire moins – on peut l’espérer et l’on doit l’exiger – que le Prince héritier des Saoud, qu’un Trump en pleine confusion ou qu’un Abé réélu mais sans solution.

Assez du jeu « dangereux » des duettistes irresponsables. Madrid et Barcelone jouent les prolongations. Rajoy et Puigdemont se révèlent tels qu’ils sont, rivalisant dans la médiocrité des petits jeux politiciens quand Catalans, Espagnols, Européens s’impatientent de ne voir se dessiner aucune solution raisonnable à la crise. Le coût de ce bras de fer sur fond de mensonges est déjà très lourd et pour Barcelone et pour Madrid. Plus de 1 500 entreprises ont déménagé dans l’urgence leur siège social et cela se traduira par un coup de frein pour l’ensemble de l’économie. Sur le plan social, les hommes de droite qui sont à la manœuvre de part et d’autre se valent. Ils agitent la question nationale ou identitaire pour faire oublier le reste, de la corruption marque de fabrique du patron du parti populaire au refus qu’ils partagent d’une démocratie autre que formelle. S’y mêlent les agissements d’un « monarque » illégitime par définition et pur produit d’une « famille » elle aussi « corrompue jusqu’à l’os ». Alors, oui, le respect de l’autonomie catalane et des droits démocratiques en général n'est pas négociable. Par principe. Le recours à des élections générales en Catalogne et dans les autres provinces espagnoles s’impose. Puigdemont et les « indépendantistes » ne peuvent que s’y soumettre car de deux choses l’une. Soit ils seront battus et devront renoncer à un projet clairement minoritaire, soit ils seront majoritaires et d’autant plus forts pour négocier. L’Espagne n’a rien à gagner à s’enliser dans les crises identitaires, après celles du marasme économique et du chômage de masse, après celles de la paralysie institutionnelle et des élections à répétition et sans issue. Une des clés de la solution réside cependant dans la « lâcheté » de l’actuelle direction du PSOE qui croit se « sauver » du déclin en filant le train à Rajoy aux Cortes. D’autres projets, elle n’en a guère si ce n’est celui d’un appareil usé qui se survit et entend « rester devant Podemos » au plan national. C’est bien court et ne correspond nullement aux aspirations des militants socialistes plus en phase avec les préoccupations de la rue. Podemos de son côté ne sert pas à grand-chose dans la crise actuelle. Le rôle de personnalités associées, telle Ada Colau, la Maire de Barcelone, ne saurait le dissimuler. Les gauches évoluent dans ce contexte empoisonné sans qu’apparaisse pour l’heure à une échelle significative une solution alternative capable par-delà la situation immédiate de porter un processus constituant pour refonder un fédéralisme respectueux de l’auto-administration locale. Ce n’est pas une raison pour y renoncer d’autant que les « masques tombent » les uns après les autres.

Avec des « faux-semblants » en chaîne en France. Bien sûr, il y a les questions essentielles, l’adoption d’un budget déséquilibré, une outre-mer sur ses gardes faute de ne rien voir venir, une négociation incertaine pour la refonte de l’assurance chômage, de la formation professionnelle et de l’apprentissage… mais ce ne sont là que parties du puzzle au travers duquel un vieux pays se cherche à défaut de se trouver. La scène des partis politiques en donne la mesure. À droite, les rescapés des Républicains ne savent plus comment faire pour sauver les apparences. Même plus capables d’exclure « proprement » ceux qui ont quitté le navire à temps. Reste un futur patron très à droite et probablement représentatif de la base. Mais pour quel projet si ce n’est d’aller à la chasse électorale sur les « terres » bourbeuses des Le Pen. Eux et leurs proches doivent maintenant s’acquitter de leurs turpitudes auprès du fisc et des tribunaux. On y arrive enfin. Tricheurs, manipulateurs, voleurs, il va leur falloir se diriger vers la caisse en passant ou non par la case prison. À gauche, pitié pour ceux qui restent. Le PS vend le fonds de commerce et licencie à tout va s’inquiétant des manœuvres pour lui imposer un nouveau premier secrétaire, un individu censé jouer le rôle. Le « fossoyeur » s’agiterait en coulisse pour placer l’un des siens si l’on en croit de jeunes loups déjà prêts à en découdre avec leurs aînés. S’agiter à l’Assemblée sur quelques amendements, seraient-ils parfois bien sentis, ne suffira pas à refonder un parti exsangue. Mélenchon et les Insoumis font eux du bruit mais moins pour leur capacité à construire une opposition de gauche, résolue et unitaire, que pour leurs manquements à la responsabilité publique la plus élémentaire, des dérapages du chef sur la Lituanie aux petites affaires de logement. L’odieux argumentaire de Danielle Simonnet qui ne veut pas « participer à la spéculation » en se logeant à bas coûts dans le parc social parisien apporte un nouvel éclairage sur la nature de ce courant. Plus que floue car il n’y a pas qu’un loup, mais toute une meute. Tout cela, nous dit-on, c’est « le vieux » monde tandis que le « nouveau » s’épanouirait du côté d’En marche… Sans rire. Le jeu de chaises musicales avec Castaner après Ferrand, Bayrou et les autres parce que le « patron » l’a décidé souligne le caractère suranné de cette tentative de refonder une domination politique avec les apparences de la légitimité démocratique – on y vote même à main levée sur les personnes en cénacle restreint. La Ve République a de beaux restes et Macron les accommode à sa sauce. Sans compter quelque 700 bailleurs « sociaux » et plus de 500 « mutuelles », corps intermédiaires par excellence, qui se gavent sans compter. Pas sûr dans ces conditions que l’opinion soit dupe très longtemps. Raison de plus pour défendre, toujours et sans relâche, au-delà de choix politiques et budgétaires plus conformes à l’égalité et à l’intérêt général, une démocratie vivifiante qui suppose des règles de droit incontestables et une culture partagée dont ce pays est encore bien éloigné. 


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