mardi 20 juin 2017

Au pays de Macron…

E. Philippe et E. Macron le jour de la présentation du premier gouvernement, le 18 mai dernier (photo POOL/AFP).

La séquence électorale qui s’achève ne fut pas de tout repos. Le paysage politique en est-il pour autant aussi « bouleversé » qu’on le prétend ? Les changements ne sont guère contestables si l’on se fie aux seules « images » distillées par le nouveau pouvoir. Un Président plus jeune, plus actif et moins « bavard » que le précédent, un gouvernement dont la plupart des ministres sont a priori « compétents » et une majorité sans appel – 308 députés pour le seul parti du président – en capacité d’agir de manière cohérente. Mais, un pays profondément divisé qui s’abstient comme jamais auparavant lors de la dernière consultation électorale – 28 millions de citoyens sans voix -, une bataille de la confiance au gouvernement qui va encore faire bouger les lignes et un retour en force des questions politiques laissées en suspens qu’il s’agisse du droit social ou de la trajectoire des finances publiques. D’une certaine manière, c’est maintenant que commence le vrai débat public.

Sur l’abstention d’abord, qui est le signe le plus évident du délitement démocratique d’un grand corps électoral malade. Non qu’il soit possible d’enrôler comme le fait Mélenchon 28 millions de citoyens en marge dans les rangs d’une « insurrection contre le pouvoir de l’oligarchie ». Le bruit des mots ronflants n’a jamais rendu une analyse plus pertinente. Il est impossible de faire porter un sens unique à cette abstention aux cent motifs contradictoires. Mais la Ve République plébiscitaire tolère moins que d’autres formes de domination cette mise en marge d’une majorité de citoyens, précisément parce qu’il n’existe aucun autre centre de décision qui lui soit opposable. Quand les citoyens s’en détournent, les jours de ces institutions antidémocratiques apparaissent comptés avec un pouvoir sans doute mois fort qu’il voudrait le laisser paraître. Comme le précédent, Il dispose de tous les leviers mais sans l’adhésion de l’opinion.

Un pouvoir qui se définit moins à partir de solides fondamentaux que par la force d’un « pragmatisme » éprouvé par son chef au cœur du dispositif hollandais et revisité depuis. Macron en a tiré quelques leçons. Le jeu de chaises musicales qui permet d’exfiltrer Ferrand en douceur du gouvernement vers la présidence du groupe En Marche (EM) à l’Assemblée le prouve. Il y a chez Macron une aversion du risque en pure perte. La promotion sanction de l’un des hommes clés de l’appareil du nouveau pouvoir vaut avertissement pour Bayrou et le Modem – 42 députés – qui ont perdu une part de leur pouvoir de nuisance dès lors que EM est majoritaire sans eux. La poursuite du nettoyage des écuries d’Augias à Bruxelles n’affectera pas le seul FN, c’est acquis. C’est d’ailleurs la condition de son efficacité et il faudra en tirer tôt ou tard les conclusions au sommet de l’État. Le plus tôt sera le mieux.

Bataille de la confiance ensuite où Macron dispose d’une arme redoutable pour redessiner les contours de sa majorité à droite comme à gauche. Il est en situation de récupérer ce qui peut l’être dans le champ de ruines des anciens partis dominants de la Ve République. À droite, l’Union des Démocrates et des Indépendants (UDI) et Lagarde – 17 députés – n’attendent que cela depuis qu’ils ont été enfermés dans un accord illusoire avec les « Républicains » (LR) et ils disposent d’un groupe au Parlement. LR – 112 députés – est voué à la scission entre ceux qui voteront la confiance et ceux qui s’y opposeront sur fond de guerre des chefs entre tenants de la droite dure et aspirant à une recomposition à vocation majoritaire. Le score jugé enviable dans le contexte de l’ex-parti de Sarkozy est en trompe-l'œil. Il ne traduit pas une résilience de la droite « traditionnelle » face à Macron, mais un simple effet d’aubaine pour des sortants prêts à en découdre entre eux à la première occasion, le vote de la confiance en l’occurrence.

À gauche, la « clarification » a opéré pour l’essentiel. Valls et ses obligés ont rompu avec le PS – 31 députés, 47 avec les apparentés (3 PRG, 1 EELV, 12 divers gauche) – dès avant les agapes électorales. La piteuse réélection, la troisième, de l’ancien Premier ministre, à supposer qu’elle soit confirmée, ouvre une phase de décomposition des courants les plus droitiers de la social-démocratie tandis que leurs anciens camarades s’efforceront de se repositionner à gauche en refusant la confiance et en se proclamant « vigilants » sur les prolongements de ce qu’ils ont consenti à initier avec la loi El Khomery, l’égérie déchue dans le 18e parisien historiquement ancré à gauche. Reste le cas d’une poignée de Hollandais à la croisée des chemins qui, quel que soit leur choix, ne sont plus en mesure de peser à gauche. La France insoumise (LFI) – 17 députés – et le PC – 10 élus – ne voteront ni la confiance, ni les ordonnances probablement dans la division avec deux groupes distincts.

Le cas de l’extrême-droite demeure enfin un sujet de préoccupation majeur. Huit élus pour le FN, un pour la Ligue du sud, au scrutin majoritaire à deux tours… c’est beaucoup. Combiné au score de Le Pen au second tour de la présidentielle et à ceux de ses 122 qualifiés pour le second tour des législatives, c’est la preuve de la virulence du poison dans certaines poches territoriales. Le Nord-Pas-de-Calais n’envoie pas moins de cinq néofascistes à l’Assemblée. La crise est certes ouverte au FN, mais faute d’un ressourcement territorial conséquent, une fraction de l’électorat populaire continuera à les investir, ici ou là. L’éradication du phénomène n’est pas acquise et reste à l’ordre du jour. Sans établir de parallèle, l’élection de trois « indépendantistes » en Corse témoigne d’un problème analogue. La réorganisation territoriale, son efficience sociale et démocratique sont d’autant plus urgentes que le pouvoir caresse l’inversion de la hiérarchie des normes au plan économique et social.

La confiance élargie acquise, Macron devra en effet faire face aux dossiers chauds. Celui de la « moralisation » de la vie politique où il semble déjà avoir reculé – casier des candidats, conflits d’intérêts… –, avec la question béante de la proportionnelle comme urgence démocratique, n’épuiserait-elle pas le problème de l’abstention. La gauche devra défendre une proportionnelle intégrale avec un scrutin de listes dans les circonscriptions régionales. Puis viendront les « ordonnances », à peine moins antidémocratiques que le 49.3, et leur contenu en matière d’organisation économique et de droits sociaux. L’inversion systématique de la hiérarchie des normes porterait un coup à l’État de droit et contribuerait à fragmenter davantage une société qui l’est déjà. Et puis, arrivera l’inévitable débat budgétaire dans lequel le gouvernement Philippe II n’aura guère de marges par rapport à Bruxelles. Un futur immédiat semé d’embûches qui se chargera vite de ramener le pouvoir et ses oppositions à la réalité d’un pays qui ne va pas mieux. 


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