mardi 4 juillet 2017

L’offensive idéologique En marche

À Versailles lundi 3 juillet (photo © POOL/AFP)

Au lendemain du Congrès, après deux mois de présence à l’Élysée et une législative, les jeux sont faits. Le Maréchal Macron sonne la charge idéologique. Cela tranche avec l’agitation brouillonne de l’un et la péroraison bonhomme de l’autre, Macron n’est en effet ni Sarkozy, ni Hollande. Il comprend les attentes d’une population désenchantée en bas tout autant qu’il porte les aspirations de ceux d’en haut et du milieu qui ne se sont jamais satisfaits de la « glaciation politique » qui a fait que plus rien ou presque n’était devenu possible, hier ou avant-hier. Il fixe donc le cap d’un changement « profond », celui d’une restauration de la domination d’un ordre « bourgeois » qu’il souhaite légitimer en gommant ce qui le rend insupportable et en inscrivant son action dont le « blitzkrieg institutionnel » qu’il veut conclure en l’espace de quatre saisons dans le prolongement des avatars de la Grande Révolution française. Trahie et défigurée, elle aussi avant d’autres après elle, il ne lui restait plus après l’abattement qu’à subir les assauts des « beaux messieurs » de 1848 avant de connaître renaissance et dépassement dans la Commune et plus tard dans l’Octobre rouge avant sa dégénérescence. Le fonds de commerce idéologique de l’homme neuf qui aspire, prétend-il, à changer le monde est celui du libéralisme politique et social. « Liberté, égalité et fraternité » résultant de la conscience individuelle et non de l’action collective prônée par le mouvement ouvrier dès ses origines. Alors, oui, il faut prendre le Président au mot et le contraindre chaque fois que possible à aller au-delà des mots quand cela peut déboucher sur une amélioration, significative ou à la marge, des conditions de vie dans les sociétés française et européenne. Il faut tout autant s’opposer avec une énergie farouche au brouillard idéologique qui voudrait abolir les intérêts de classe qui font que les salariés et les détenteurs de capitaux n’ont pas grand-chose, sinon rien, de commun au bout du bout, auraient-ils combattu les uns et les autres le fascisme et le populisme.

Les « précisions » que le Premier ministre apportera ne changeront rien à l’affaire sauf à satisfaire, incrédules, ceux qui constateront qu’il y avait bien place pour deux discours complémentaires. D’autant que même en termes de rythmes et de « phasage », l’essentiel a été annoncé. Réforme institutionnelle d’abord car la Ve République, vieillie et à bout de souffle, ne fait plus rêver personne. Son fonctionnement est devenu un obstacle à toute évolution de la société. Macron ne se contente pas de la « ripoliner ». Il n’a que faire d’une Assemblée pléthorique. Il préfère la mettre au régime comme les deux autres institutions représentatives, le Sénat et le Conseil économique, social et environnemental. Un plan social du tiers des effectifs et surtout une exigence de résultats qui « révolutionneraient » en effet les usages. L’insistance à centraliser la consultation démocratique par le biais du CESE en dit long sur la réforme à la hussarde qui se prépare. Les « corps intermédiaires » ont quelques soucis à se faire pour retrouver une place dans ce nouveau paysage. Si bien que c’est une VIe République qui verra peut-être le jour, non celle démocratique et sociale que nous appelons de nos vœux, mais celle d’un régime présidentiel « fort » autrement dit autoritaire au nom de l’urgence qui n’attend pas. Jack Lang en revenant « socialiste » met le doigt sur la contradiction, pourquoi dans ce cas ne pas supprimer le poste de Premier ministre et faire du Président, le Premier responsable devant l’Assemblée. Macron ne l’entend pas ainsi car le caractère « plébiscitaire » de l’élection présidentielle lui va comme un gant ajusté. Lui aussi croit en son destin d’homme providentiel pour sauver la patrie en danger. Une com’ millimétrée et des accents aussi généreux qu’imprécis… car il veut qu’on lui fasse confiance sans recours excessif à la loi, aux règlements qui participent d’une administration générale entre citoyens égaux devant elle. Il y a chez lui comme un paternalisme d’autrefois quand certains capitaines d’industrie s’attachaient à gérer la vie de leurs administrés
« pour leur bien ». Suffisant pour opposer à ce projet antidémocratique, apporterait-il une « dose » de proportionnelle et non une élection à la proportionnelle, l’exigence d’un vrai processus constituant.

Patriotisme cocardier ensuite qu’il décline en toutes les présumées manifestations du « génie français », de l’intelligence au courage, au point de friser l’overdose devant tant d’efforts pour enraciner dans la population l’idée d’un avantage concurrentiel lié à la culture du cru. De quoi remplir d’aise ceux qui, perdus, sont prêts à s’accrocher à n’importe quel conte de l’épopée nationale quitte à n’en pas dissimuler quelques aspects moins mobilisateurs. Et là, l’homme de culture et il l’est assurément dérape en dépit des auteurs judicieusement choisis qu’il cite quand il fait des humanités, voire de l’humanisme, une production nationale que la Nation française dans sa magnanime grandeur aurait offerte au monde. Non, mille fois non, les Lumières furent européennes avec des influences croisées, des décalages, des apports convergents et discordants mais avec une communauté de destin qui devaient les conduire à inspirer les plus grands progrès de l’humanité jusqu’à ce jour. La fable du roman national et du phare unique ayant sorti les hommes de l’obscurantisme ne tient pas. Elle peut séduire les électeurs de Le Pen, voire une fraction de ceux de Mélenchon, mais pour les engager dans une nouvelle impasse faute de comprendre que la Nation française est appelée à se fondre dans un ensemble plus vaste, européen à ce jour, avec une logique universaliste qui le dépasse. Sur l’Europe aussi, l’homme se presse pour avancer sans s’en remettre à la « sagesse » des Européens eux-mêmes rassemblés dans une Constituante destinée à doter l’Union d’une loi commune fondatrice des États-Unis d’Europe. Co-organiser partout avec la Chancelière allemande des conventions démocratiques pour refonder l’UE au travers d’avancées, chaotiques et illisibles pour le plus grand nombre, n’est pas la solution. On doit revendiquer plus et mieux en renonçant à ce sentiment de « supériorité » souvent reproché aux Français ou du moins à ceux qui s’expriment en leur nom. Tous égaux en droits et en devoirs dans une solidarité transcendant les vieilles nations dont l’une des plus anciennes avant qu’elle ait succombé sous les coups de boutoir de la modernité, du progrès et d’un monde en mutation. Deux visions du monde irréconciliables au final comme elles l’étaient déjà au moment de la boucherie de la Grande Guerre d’il y a un siècle avant que la poussée révolutionnaire sans frontières et l’engagement des soldats du nouveau monde en 1917 ne firent pencher le sort des armes et des peuples.

L’impasse éclairante enfin d’un Président qui sans méconnaître la réforme de l’organisation sociale du travail qu’il a initiée la présente rapidement sous le jour d’une adaptation qui contraindrait au dialogue et protégerait les plus faibles auxquels il entend rendre leur dignité en leur permettant de s’intégrer à l’instar de tous les autres. Le choix d’une intelligence qui ne méconnaît pas le conflit d’intérêts fondamental entre ceux qui possèdent et décident et ceux qui n’ont rien et subissent. Le lyrisme qu’il soit inspiré parfois ou « lourdingue » à d’autres moments se heurte à la réalité de la répartition des richesses, y compris des biens communs, s’opérant de manière très inégalitaire depuis au moins trois décennies avec une nette accélération depuis la crise 2008-2009 et suivantes. C’est cette monstrueuse injustice qu’il faut corriger pour redonner cohérence, confiance et espoir aux citoyens et aux territoires meurtris par la misère et le sentiment de relégation. Macron le sait et plutôt que de se risquer à une « clarification » qui l’entraînerait à s’assumer pour ce qu’ils sont, lui et les siens, préfère les brumes d’une offensive idéologique de contournement des plaies ouvertes dans la société française, plus à vif sans doute que chez certaines au moins de ses voisines. Aucune régression n’est acceptable parce que ce serait tourner le dos au futur de progrès justement. Après, tout ou presque est discutable à la condition que l’ordre du jour vise clairement au partage des choix, des responsabilités et des fruits d’une croissance stimulée. Sinon, au lieu d’avancer, l’on reculerait encore et c’est au fond ce qui doit motiver l’opposition sociale et démocratique de gauche au « macronisme » loin des postures, de la com’ de substitution à l’action, au nom d’un programme improbable. Le Président, ses députés, ses soutiens prennent plus d’une longueur d’avance à la faveur de leur offensive idéologique mais ceux qui « ne sont rien », l’histoire l’a prouvé, peuvent devenir « tout » collectivement dans l’égalité à la faveur de conditions exceptionnelles. Son message et le nôtre. 


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